Lire dans un monde numérique

 « Lire dans un monde numérique », ouvrage  coordonné par Claire Bélisle  montre comment la pratique de lecture numérique appelée aussi « lecture dynamique » favorise la participation interactive du lecteur et remet en cause le modèle réflexif jusque là dominant de la lecture littéraire porté par son emblème le roman. Cette mutation s’inscrit dans la longue histoire des mutations des pratiques de la lecture et reflète l’évolution de la société dans son rapport à l’information et à la connaissance.

 

Cette révolution historique est abordée par Christian Vandendorpe dans le chapitre I de l’ouvrage. Il montre comment le reflux du roman s’inscrit dans les changements sociétaux antérieurs à l’apparition des écrans. Les nouveaux supports, les interactions dynamiques entre le lecteur et le texte, l’accélération du rythme de lecture favorisent la mutation en cours. Il remet en cause ce qu’il appelle « les ravages présumés de la lecture » (baisse de l’attention, culture du zapping..) et dont Nicholas Carr est un des plus éminents représentants avec son article « Est-ce que Google nous rend idiot« .
Christian Vandendorpe, met en avant ce qu’il appelle la lecture ergodique orientée vers l’action, conceptualisée par Espen Aarseth. Cette lecture vise soit à produire un nouveau texte soit à laisser une trace de son activité. Enfin, avant d’aborder le livre électronique, il se pose la question de la disparition de l’intériorité et de l’enjeu pour la littérature numérique de posséder « une capacité à élargir sa compréhension de soi et des autres » comme c’est le cas dans le roman sur support papier. Il voit enfin dans la dimension sociale de la lecture une « planche de salut » pour le livre.

« Qu’est-ce que lire ? » Telle est la question posée dans le chapitre II par Eliana Rosado. L’occasion de faire le point sur l’état actuel des connaissances sur ce vaste sujet. Là sont abordées les questions de l’apprentissage de la lecture, les recherches en neurosciences du professeur Stanislas Dehaene, les rapports entre lecture et société.  Eliana Rosado essaie de montrer en quoi le modèle littéraire peut permettre de rendre compte des diverses pratiques actuelles de lecture.

Les transformations de la lecture

Claire Bélisle aborde justement dans le chapitre III ces transformations. La lecture en ligne et sur support nomade affecte le rythme de la lecture et son accroissement (une constante historique) est à mettre en relation avec notre rapport au temps, un « construit social et culturel ». Elle évoque aussi la capacité d’attention, un « comportement social » qui s’apprend en famille et à l’école et qu’elle relie à la tendance au multitâche (polyattention et polyfocalisation). Enfin, elle s’interroge sur l’évolution du plaisir de lire dans le cadre de l’interactivité cognitive avec les outils numériques et les nouvelles expériences de lecture interactives. Dans ce contexte, savoir lire devient une compétence de plus en plus technologique et nécessite l’acquisition de nouvelles compétences de lecture pour « interagir avec l’information, les données, la connaissance ». Il ne s’agit pas seulement de maîtriser des outils techniques mais plutôt de « se repérer dans un nouvel univers de valeurs ». (p.143).
Dans le chapitre V, Claire Bélisle étudie les nouveaux environnements de lecture : bibliothèques numériques, usage des livres numériques à l’université, les objets nomades à travers ce qu’elle appelle « lire en petit format » et la lecture en réseau avec le web 2.0.

Hyperculture et culture du lien

Raja Fenniche, dans le chapitre IV intervient sur le thème : « Hyperculture et culture du lien ». elle met en relation l’hyperculture et la culture émergente des société en réseaux. Elle décline trois niveaux de culture du lien (cognitif, social,culturel). Claire Bélisle dans l’introduction résume son propos comme ceci : « l’hyperlecture organise un champ de communication interpersonnelles tout en renforçant le lien social et facilitant la création de communautés de lecture » (p.42).

Inside : un journal de rêves de Judi Alston et Andy Cambell

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Lectures numériques

Philippe Bootz dans le chapitre V offre un panorama des nouveaux territoires de la lecture numérique. Il préfère parler d’ailleurs de lectures numériques au pluriel. Et les définit comme « toute forme narrative ou poétique qui utilise les caractéristiques d’un dispositif informatique »
Pour lui : « la littérature numérique est le lieu d’une véritable rencontre entre des questions ancrées dans l’histoire littéraire, entre des réflexions sur le concept de texte et d’autres sur l’usage et l’imaginaire technologique (…) La littérature numérique questionne tout autant qu’elle montre, elle s’organise en démarches plus qu’en œuvres. En cela, elle s’inscrit dans la lignée des mouvements d’avant-garde qui ont émaillé le XXe siècle.. »
Il en aborde les genres : la fiction hypertextuelle, la littérature générative (littérature numérique combinatoire, génération automatique de texte et génération processuelle) et la poésie animée. Il propose quelques clés de décryptage pour aborder ces œuvres comme le :
– transitoire observable : événement textuel ou multimédia généré par le programme.
– texte-à-voir : ensemble des éléments qui sont considérés par le lecteur comme le texte à lire.
– la profondeur du dispositif : croyances, connaissances sur le texte.
Il illustre son propos à partir d’un poème de Philippe Castellin : la « Carte du Tendre ».

Pour sa part, dans le chapitre suivant, Alexandra Saemmer aborde d’autres caractéristiques de ces œuvres littéraires numériques. Elle illustre son propos par une analyse de l’oeuvre de Susanne Berkenheger : « Zeit für die Bombe » et l’exemple du mot « bombe » clignotant dans la phrase « La bombe faisait tic-tac » . A partir de cet exemple elle nous propose des réflexions sur l’expérience d’immersion, l’engagement du corps, le couplage texte mouvement manipulation (enjeux majeurs de la Lecture numérique), la capacité à entrer dans le monde virtuel. Comme pour Philippe Bootz, elle propose une grille de lecture d’un dispositif numérique dont on peut également tirer profit.

L’ouvrage en conclusion propose des perspectives pour penser la lecture aujourd’hui en explorant le concept de littératie(s) « au croisement des pratiques sociales et des représentations, de l’apprentissage et des domaines de la lecture/écriture linguistique et textuelle, mais aussi visuelle et sonore »

Et de mettre en avant une indispensable créativité « pour que les personnes se développent et construisent une maîtrise de l’écrit, et des multiples formes de la culture… » mais aussi pour développer chez tout lecteur « le goût d’une culture de l’interprétation »

Avis sur l’ouvrage

Ce livre en faisant le point sur la question de la lecture numérique constitue un excellent outil de formation pour mettre à jour ses connaissances. Il propose en outre des pistes aux enseignants, et aux professionnels de l’information et de la documentation pour de nouvelles stratégies de lecture à mettre en œuvre pour la formation, notamment celle des plus jeunes. Il aborde les rivages encore méconnus de la littérature numérique et donne envie de les explorer.
Les références bibliographiques et sitographiques fournies vous permettront de poursuivre avec bonheur votre réflexion.

Bélisle, Claire (dir.). Lire dans un monde numérique. Villerbanne : Presses de l’ensibb, 2011. (coll. Papiers).

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