Transmédia et Transmédialité : l’art de tisser la toile narrative

Dans le domaine des transmedia studies, il est courant d’entendre parler de transmedia et de transmédialité. Ces deux concepts sont souvent utilisés de manière interchangeable, mais ils recouvrent en réalité des réalités différentes. Quelles sont les différences entre le transmedia et la transmédialité ? Que peuvent-ils apporter conjointement à la narration ? C’est l’objet de ce billet.

Qu’est-ce que le transmedia ?

Le transmedia est une forme de narration qui se déploie sur plusieurs médias, en exploitant les spécificités de chacun. Le transmedia crée un univers narratif cohérent, mais qui n’est pas réductible à un seul média. Chaque média apporte un élément complémentaire à l’histoire, sans se répéter ni se contredire.

La définition du transmedia proposée ici correspond à celle communément admise dans les travaux de référence sur le sujet. Henry Jenkins, pionnier des cultural studies, définit en effet le transmedia storytelling comme « un processus où les éléments d’une fiction sont dispersés sur différentes plateformes médiatiques dans le but de créer une expérience de divertissement coordonnée et unifiée » (Jenkins, 2006)

On peut comparer le transmedia à un puzzle, dont chaque pièce correspond à un média différent. Pour avoir une vision d’ensemble du puzzle, il faut assembler toutes les pièces, c’est-à-dire consommer tous les médias impliqués dans le transmedia.

Un exemple célèbre de transmedia est la saga Star Wars, qui se compose de films, de séries, de livres, de jeux vidéo, de bandes dessinées, etc. Chacun de ces médias raconte une partie de l’histoire de la galaxie lointaine, très lointaine, et enrichit l’univers créé par George Lucas.

Le transmedia implique généralement un important travail de planification et de coordination des contenus déclinés sur plusieurs plateformes. L’objectif est de garantir une cohérence diégétique et une complémentarité des informations dispersées (Jenkins, 2006).

Qu’est-ce que la transmédialité ?

La transmédialité est une propriété des œuvres qui peuvent être adaptées sur différents médias, sans perdre leur essence ni leur identité. La transmédialité implique une certaine fidélité à l’œuvre originale, mais aussi une certaine liberté dans la manière de la transposer sur un autre média.

Ryan et Thon (2014) analysent ainsi la transmédialité comme « la capacité d’une œuvre à être adaptée et transformée lors de son passage d’un médium à un autre, tout en conservant son essence« . On peut comparer la transmédialité à une traduction, qui cherche à rendre le sens et le style d’un texte dans une autre langue, tout en tenant compte des différences culturelles et linguistiques.

Un exemple classique de transmédialité est le roman Frankenstein de Mary Shelley, qui a été adapté en film, en pièce de théâtre, en opéra, en bande dessinée, etc. Chacune de ces adaptations conserve le thème central du roman, qui est la création d’un être vivant par un savant fou, mais le traite de manière différente selon le média choisi.

La transmédialité présente davantage de flexibilité que le transmedia, les différentes versions pouvant varier dans leur interprétation du récit originel. Mais l’essence de l’œuvre et certains éléments clés doivent être préservés (Ryan et Thon, 2014).

Quelle différence entre le transmedia et la transmédialité ?

La différence entre le transmedia et la transmédialité réside dans le rapport entre les différents médias impliqués. Dans le cas du transmedia, les médias sont complémentaires et participent à la construction d’un même univers narratif. Dans le cas de la transmédialité, les médias sont substituables et proposent des versions différentes d’une même œuvre.

On peut dire que le transmedia est une stratégie créative qui vise à enrichir une histoire en la déclinant sur plusieurs médias. La transmédialité est une qualité intrinsèque d’une œuvre qui lui permet d’être adaptée sur différents médias sans perdre son essence.

Une métaphore

Le transmedia est comme le processus de tissage lui-même. Chaque média est un fil unique, et le transmedia tisse ces fils ensemble pour créer un tissu complexe et riche – l’histoire. Chaque fil contribue à la beauté globale du tissu, tout comme chaque média contribue à la richesse de l’histoire dans le transmedia. Ainsi, un film, un livre, un jeu vidéo, tous apportent leur propre texture unique à l’histoire, créant une expérience narrative qui est plus grande que la somme de ses parties.

La transmédialité, en revanche, est comme le motif qui est tissé dans le tissu. C’est l’essence de l’histoire qui reste constante, peu importe comment ou où elle est racontée. Tout comme un motif peut être tissé avec différents fils et techniques, une histoire peut être racontée à travers différents médias et formats tout en conservant son cœur et son âme. Que l’histoire soit racontée à travers un film, un livre ou une pièce de théâtre, le thème central de l’histoire reste le même.

En combinant le transmedia et la transmédialité, on obtient un tissu narratif riche et varié. C’est comme si on tissait une étoffe avec une multitude de fils colorés, créant un motif complexe et beau. Chaque fil, chaque média, ajoute sa propre couleur unique à l’histoire, et le motif, l’essence de l’histoire, reste constant à travers les différentes adaptations.

La combinaison du transmedia et de la transmédialité s’apparente à l’art du tissage. Elle permet de tisser des histoires riches et complexes qui peuvent être appréciées de différentes manières par différents publics. C’est un art qui nécessite à la fois de la créativité et de la précision, tout comme le tissage. Et tout comme un beau tissu, une histoire bien racontée peut captiver, inspirer et toucher ceux qui la découvrent.

Conclusion

Le transmedia et la transmédialité sont deux concepts importants pour comprendre les phénomènes culturels contemporains. Ils témoignent de la diversité et de la richesse des formes narratives qui circulent sur les différents supports médiatiques. Ils invitent également à réfléchir aux enjeux esthétiques, économiques et sociaux liés à la production et à la réception des œuvres.

Ces deux stratégies sont aujourd’hui largement utilisées dans l’industrie du divertissement (cinéma, jeux vidéo…) et la création littéraire/artistique, qu’il s’agisse d’œuvres populaires ou d’auteurs reconnus. Elles interrogent aussi les concepts traditionnels d’œuvre et de médium, ainsi que l’identité et le rôle du public qui participe parfois activement aux univers développés (Jenkins, 2006). Leur étude relève d’approches pluridisciplinaires alliant narratologie, sociologie des usages, études culturelles et économie créative (Ryan et Thon, 2014).

Bibliographie

  • Guynes, S. A., & Hassler-Forest, D. (2017). Star Wars and the history of transmedia storytelling. Amsterdam University Press.
  • Jenkins, H. (2006). Convergence culture: Where old and new media collide. New York: New York University Press.
  • Jenkins, H., Hassler-Forest, D., & Guynes, S. A. (2018). ‘I Have a Bad Feeling About This’: A Conversation about Star Wars and the History of Transmedia.
  • Ryan, M.-L., & Thon, J.-N. (Eds.). (2014). Storyworlds across media: Toward a media-conscious narratology. Lincoln: University of Nebraska Press.

Le savez vous ?

Il existe une version de la tapisserie de Bayeux qui raconte l’histoire de Star Wars. Cette œuvre impressionnante a été réalisée par Aled Lewis, un illustrateur et designer londonien. Il a brodé les six premiers épisodes de la saga sur le modèle de la tapisserie de Bayeux. Cette broderie, appelée « The Coruscant Tapestry« , mesure 9 mètres de long et a été entièrement réalisée à la main. Elle s’inspire de la célèbre Tapisserie de Bayeux, qui décrit l’histoire de la conquête de l’Angleterre par Guillaume le Conquérant en 1066. Des citations des films sont brodées sur les côtés en « Aurebesh« , l’alphabet majoritaire de la galaxie. C’est une manière originale et créative de raconter l’histoire de Star Wars, en utilisant une forme d’art ancienne et traditionnelle.

Voir des détails de la tapisserie d’Aled Lewis dans l’article : https://kultt.fr/aled-lewis-the-coruscant-tapestry/

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