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John is Learning : les secrets de construction du récit participatif

Découvrez dans ce second volet la construction et les techniques d’articulation de la composition hybride du récit participatif John is Learning

A l’occasion du festival Futur en Seine, les 14, 15 et 18 juin 2014, l’IRI (Institut de Recherche et d’Innovation) du Centre Pompidou (Paris) accueillait le #TransmediaMIX. Un événement produit par l’association TransmediaReady représentée par sa présidente et fondatrice Mme Karine Halpern. Sous la forme d’ateliers participatifs dont le mode de fonctionnement croisait les principes de travail du barcamp et du hackaton, il s’agissait dans un temps court (2 jours de cocréation et un jour pour faire le bilan) de réaliser « une preuve de concept transmedia et de créer une œuvre collaborative et collective avec comme thème générique : « les acteurs du changement et l’éducation – #chagemakers § #Education ».

Le challenge se déroulait sur place, au centre Pompidou et en ligne. Il se voulait à la fois coopératif, ludique et avait une dimension internationale avec la présence en ligne, dans un rôle de mentor, de spécialistes internationaux de contenus transmédias. Après avoir dans le volet précédent décrit le dispositif socio-technique mis en place, j’aborde maintenant l’oeuvre transmédia produite. Elle associe une partie narrative déployée sous forme de bande dessinée interactive et un espace de contribution en ligne où sont mutualisés contenus, défis et productions des utilisateurs.

Dans ce billet nous analyserons de manière approfondie l’univers diégétique construit autour du personnage de John dans John is Learning. Nous nous appuierons sur les concepts de l’univers transmédial développés par les théoriciens Lisbeth Klastrup et Susana Tosca dans leurs travaux. Et pour analyser la structure du projet je mobilise la méthodologie proposée en par Ryan Javanshir, Beth Carroll et David Millard que nous avons vue précédemment dans ce blog, si ce n’est pas le cas, je vous recommande de vous y reporter. L’objectif est de comprendre comment est construit le storyworld afin d’éclairer les enjeux pédagogiques portés par cette œuvre collaborative.

Photographie : Karine Halpern

L’univers transmédial de John is Learning : mythos, topos, ethos

D’après les travaux de Lisbeth Klastrup et Susana Tosca, deux universitaires de renom dans les domaines de la culture numérique à l’Université IT de Copenhague, dans leur article « Transmedial Worlds – Rethinking Cyberworld Design » publié en 2004, un monde transmédial se définit comme un contenu système abstrait qui utilise une variété de formes médiatiques, où le public et les concepteurs partagent une représentation mentale commune de ce monde fictionnel.

Pour analyser l’univers diégétique d’une œuvre transmédia, Klastrup et Tosca introduisent trois notions clés :

– Le mythos renvoie aux conflits fondateurs, événements et personnages clés qui façonnent l’univers de référence.

– Le topos désigne le cadre spatio-temporel et la géographie détaillée où se déroule l’action.

– L’ethos correspond à l’éthique et au code de conduite implicite ou explicite qui régissent le monde représenté.

Examinons à présent de quelles manières ces trois dimensions sont développées au sein du monde transmédia de John is Learning.

Photographie : Karnie Halpern

Le mythos

Le mythe fondateur de la disparition des parents

Le mythe fondateur qui catalyse l’ensemble du récit transmédia John is Learning est la disparition soudaine des parents de John. En effet, c’est cet événement tragique qui va venir bouleverser le quotidien du jeune adolescent jusqu’alors. Après avoir vécu dans une organisation familiale atypique où il bénéficiait d’une éducation libre et nomade, parcourant le monde avec ses parents, John se retrouve orphelin et doit quitter ce cadre éducatif qui lui convenait. Il est alors contraint d’être confié à son grand-père paternel résidant en Bretagne.

Ce mythe inaugural crée la rupture dans l’univers de John et va faire naître le conflit identitaire qui sera au cœur de son parcours dans l’œuvre. Devant intégrer un système scolaire traditionnel et rigide qu’il ne connaît pas, le jeune garçon va devoir trouver sa place dans cet environnement peu familier, tout en préservant les savoirs et expériences acquises de manière plus informelle auparavant.

La disparition soudaine des parents de John apparaît donc comme le déclencheur tragique qui va plonger le personnage central dans le désarroi, mais aussi catalyser sa quête initiatique semée d’embûches au sein du récit transmédia. C’est ce mythe douloureux qui donne tout son sens à l’objectif de résilience poursuivi par le héros tout au long de son parcours.

Les personnages clés : John et son grand-père

Outre le mythe fondateur de la disparition des parents, deux personnages principaux cristallisent l’univers diégétique de John is Learning. Le premier est John lui-même, protagoniste central dont le parcours initiatique va catalyser l’ensemble du récit transmédia. Confronté à l’adaptation difficile au nouvel environnement scolaire, c’est la quête identitaire de John qui va motiver sa démarche face aux différents défis. Le second personnage clé est le grand-père de John, auprès de qui le jeune garçon est contraint de vivre après le décès de ses parents. Figure rassurante et sage, le grand-père va épauler John dans ses efforts pour trouver sa place. Il endosse un rôle paternaliste de soutien émotionnel et de transmetteur de savoirs, conseillant son petit-fils tout au long de son adaptation.

Ces deux personnages centraux, l’un confronté à un changement radical de vie et l’autre comme figure protectrice, cristallisent le mythe fondateur de rupture familiale. Leur relation intergénérationnelle devient le moteur qui anime la construction identitaire de John au cœur du récit, faisant d’eux des personnages clés de premier plan au sein du monde narratif.

Le conflit identitaire de John face au système scolaire

Le troisième élément structurant le mythos de John is Learning est le conflit identitaire qui va animer le personnage principal face à sa nouvelle situation. En effet, après avoir bénéficié d’un mode d’apprentissage libre et éclectique au contact de nombreuses cultures lors de ses voyages avec ses parents, John se retrouve projeté de force dans le cadre éducatif rigide et codifié du système scolaire français. Ce changement radical de paradigme éducatif va plonger le jeune garçon dans un profond désarroi. Décontenancé par les méthodes d’enseignement traditionnelles, il va devoir faire face aux incompréhensions de ses camarades et des enseignants face à ses savoirs atypiques acquis de manière plus autonome.

La confrontation entre ces deux approches pédagogiques opposées, l’une privilégiant la liberté d’apprentissage et l’autre le carcan des savoirs formatés, cristallise le conflit identitaire dans lequel est projeté John. Ce choc des modalités éducatives constitue le cœur du mythe développé par l’œuvre, faisant de cette interrogation sur les destins individuels façonnés par différents cadres scolaires un enjeu crucial de l’initiation du héros.

Catalyse du récit transmédia par le mythos

L’ensemble des éléments constitutifs du mythos développé par John is Learning, à savoir le mythe fondateur de la disparition des parents, les personnages clés de John et de son grand-père, et le conflit identitaire du protagoniste face au système scolaire, agissent de manière combinée comme catalyseur du récit transmédia. En effet, c’est ce triptyque diégétique qui va donner toute sa dynamique et sa cohérence à la narration déployée sur les différents médias.

Le mythe initial projette John dans la déstabilisation et fait naître sa quête de résilience au cœur du système institutionnel. Les personnages de John et de son grand-père, l’un acteur de cette initiation et l’autre guide bienveillant, personnifient cette quête existentielle. Quant au choc des cadres éducatifs opposés, il cristallise le nœud conflictuel que le héros devra résoudre pour trouver sa place, au travers des défis qui lui sont lancés de manière transmédia.

C’est donc ce socle mythique commun qui assure la cohésion de l’univers diégétique et sa compartimentation sur l’ensemble des médias constituant l’œuvre. En présentant ces motifs narratifs récurrents, le mythe confère une profonde unité au récit en lui donnant tout son sens fondateur. Il catalyse ainsi de façon pérenne la progression initiatique de John au cœur du monde fictionnel.

Photographie : Karine Halpern

Immersion dans le topos

Le cadre spatio-temporel

Le topos développé par l’œuvre transmédia John is Learning se scinde en deux espaces-temps bien distincts qui vont rythmer le parcours de John.D’un côté, le cadre atypique de l’éducation itinérante du jeune garçon au gré des déplacements de ses parents dans le monde. Si aucun détail géographique précis n’est donné, on comprend que John a côtoyé une multiplicité de pays et de cultures au cours de son enfance.De l’autre, le cadre bien délimité qui lui est imposé à présent : la ville de Lorient en Bretagne, où réside son grand-père. Ancré dans la réalité française contemporaine, ce nouveau terrain va constituer un environnement bien différent pour John.

Cette dichotomie spatiale reflète la rupture biographique du personnage principal. Projeté d’un cadre nomade à l’international vers un ancrage régional voire local, John se retrouve projeté hors de sa sphère habituelle, accentuant son sentiment de déracinement. En outre, le contraste des espaces-temps renforce la problématique identitaire du héros et inscrit le récit dans une dialectique spatiale riche de sens pour sa progression initiatique au cœur du monde fictionnel.

La géographie détaillée des lieux

Bien que le cadre éducatif itinérant de John ne soit pas documenté de manière précise, certains lieux constitutifs du topos de l’œuvre sont décrits de façon détaillée.Le collège de Lorient, nouvel établissement scolaire dans lequel John est contraint de s’intégrer. Lieu de la socialisation mais aussi de la confrontation à des méthodes éducatives rigides qui lui sont étrangères. Le domicile du grand-père paternel, cadre intime où l’affect et les valeurs culturelles viendront en contrepoint du carcan institutionnel. Figure tutélaire, le grand-père initie John à sa vision de l’éducation.

J’y intègre aussi la plateforme collaborative en ligne, reflet du talent polymorphe de John puisqu’il y contribue par différents médias. Espace de partage des savoirs qui complète l’école. Les événements physiques ponctuels qui viennent compléter l’univers, comme les rencontres qui associent participants dans un même lieu.

En esquissant ces détails géographiques récurrents où prend chair le parcours de John, le topos confère une assise concrète au monde fictionnel, rendant sa représentation à la fois familière et signifiante pour les publics.

Le contraste des modalités éducatives

La géographie détaillée des lieux au sein du topos de John is Learning souligne le contraste entre les deux modalités éducatives expérimentées par le personnage principal. D’un côté, la scolarisation itinérante et informelle dont a bénéficié John auprès de ses parents. Une éducation ouverte sur le monde, valorisant l’apprentissage autonome, la découverte ludique et la construction identitaire par l’échange interculturel. De l’autre, le cadre rigide du collège de Lorient, symbole du système éducatif traditionnel français. Un ensemble de savoirs formatés transmis de manière univoque selon une pédagogie normative laissant peu de place à l’individualité.

Ce contraste exacerbé par le récit met en exergue la tension identitaire de John pris entre deux conceptions antagonistes de la transmission des savoirs. D’un apprentissage libre valorisant la circulation des idées à une éducation cloisonnée figeant les statuts, le personnage est tiraillé. En dessinant ces approches opposées condensées dans les lieux du collège vs ceux de la famille, le topos cristallise le cœur conflictuel du parcours de John et donne chair à sa problématique existentielle.

Les autres lieux virtuels et physiques

Outre les lieux ancrés de manière récurrente que sont le collège et le domicile du grand-père, le topos de John is Learning comprend d’autres espaces significatifs :

– La plateforme collaborative en ligne, support virtuel investi d’un rôle pédagogique majeur. Espace de contributions libres, elle vient compléter l’école de manière plus ouverte.

– Les réseaux sociaux numériques mobilisés comme canaux d’échanges et de socialisation des participants. Lieux virtuels d’interaction communautaire.

– Les événements physiques ponctuels tels que les ateliers et rencontres. Occasions de vivre l’univers de façon collective en adoptant une posture réflexive en présence des autres.

– Les lieux de vie des participants, qui par leur participation viennent enrichir l’œuvre de leur propre géographie.

Ces espaces virtuels et physiques annexes densifient le topos en lui donnant une dimension élargie, décloisonnée, à l’image de la conception éducative prônée. Ils complètent de façon significative les principaux décors en donnant corps à une diffusion communautaire des savoirs.

Circulation au sein de l’éthos

La problématique éducative centrale

L’éthos qui irrigue l’univers transmédia de John is Learning pose comme questionnement central la problématique éducative à laquelle le personnage principal est confronté. En effet, tiraillé entre ses acquis antérieurs et le cadre scolaire auquel il doit désormais se plier, John symbolise le questionnement sur les différentes modalités de transmission des savoirs.

Doit-il renoncer à la liberté d’apprentissage qui était la sienne pour se conformer au carcan de l’institution ? Peut-il conjuguer ces approches opposées ? Faut-il privilégier l’émulation ou l’épanouissement individuel ? En choisissant de faire de cette interrogation le cœur du parcours initiatique de John, l’éthos développé promeut une réflexion sur les destins individuels façonnés par différents cadres pédagogiques.

La circulation au sein de cet éthos consiste précisément pour John et les publics à s’approprier ces questionnements, tout en leur apportant des éléments de réponse de manière positive et collaborative.

Les valeurs sous-jacentes de l’œuvre

L’éthos du monde transmédia de John is Learning repose sur un ensemble de valeurs dont découlent les objectifs poursuivis :

– L’ouverture d’esprit, à l’image du parcours atypique de John riche en rencontres interculturelles.

– La libre circulation des savoirs, loin des circuits formels traditionnels, entre les publics comme au cœur des problématiques abordées.

– La valorisation de l’apprentissage tout au long de la vie, associant connaissances académiques et savoir-faire empiriques.

– La valorisation des individualités et des modes d’apprentissage personnalisés.

– Le partage et la mutualisation des ressources dans une logique collaborative et communautaire.

– L’émancipation par l’appropriation autonome des connaissances et la participation active.

– L’entraide et la bienveillance comme moteurs de l’apprentissage du et par les autres.

Ces valeurs d’ouverture d’esprit, de participation, de co-construction et de circulation libre des idées et savoirs sous-tendent l’éthique progressiste qui irrigue la trame de John is Learning.

Adéquation avec les objectifs pédagogiques

L’éthos développé au sein du monde transmédia de John is Learning fait directement écho aux objectifs pédagogiques visés par les concepteurs de l’œuvre. En effet, les valeurs promues d’ouverture, de libre circulation des savoirs, d’apprentissage tout au long de la vie, de participation active et de collaboration entre publics, correspondent précisément aux ambitions affichées.

Il s’agit de:

– Faire réfléchir sur différentes approches éducatives de manière ludique et participative.

– Encourager l’appropriation autonome des connaissances et les apprentissages entre pairs.

– Tester une méthodologie transmédia combinant narration et partage communautaire.

– Concevoir une œuvre ouverte, dynamique et appropriable librement par de nouveaux publics.

L’adéquation entre cet éthos valorisant une éducation alternative, émancipatrice et connectée, et les objectifs visant à responsabiliser les apprenants de manière ouverte et durable, confère une cohérence profonde au projet. Le monde créé promeut donc sciemment les finalités éducatives recherchées.

Photographie : Karine Halpern

Structure du récit transmédia

Pour analyser la structure du récit transmédia de John is Learning, je m’appuie sur la méthodologie proposée par Ryan Javanshir, Beth Carroll et David Millard dans leur article « Structural patterns for transmedia storytelling » publié dans la revue académique PLOS ONE. Ces auteurs présentent un modèle permettant d’identifier les caractéristiques structurelles fondamentales d’une expérience transmédia. Leur modèle considère qu’un récit transmédia se compose de canaux (ex: un site web), eux-mêmes constitués d’instances (ex: une mise à jour du site). Chaque instance contient des liens vers d’autres instances, une interactivité et un état (statique ou live).

Ce modèle permet de décrire de façon systématique la structure d’un récit transmédia, en identifiant l’ensemble des canaux utilisés ainsi que leurs instances chronologiques. Il offre un outil d’analyse visuelle et descriptive sur lequel je m’appuie pour examiner la structure de John is Learning.

Les canaux et leurs instances de manière exhaustive

L’analyse des documents révèle que John is Learning articule deux volets principaux : une bande dessinée interactive narrant de façon linéaire l’histoire de John sur la plateforme Klynt et une plateforme collaborative rassemblant contenus pédagogiques et défis à relever pour les participants. S’ajoutent à ces deux canaux principaux des supports annexes tels que les réseaux sociaux, vidéos, événements physiques qui complètent l’univers narratif. En appliquant le modèle de Javanshir et al., je peux à présent lister de façon exhaustive l’ensemble des canaux et décrire pour chacun ce que pourrait être la chronologie de leurs instances. Je tiens à préciser ici que ce travail a été à peine esquissé lors du TransmédiaMIX et que j’extrapole afin de clarifier le propos.


Légende :
– BD: Bande dessinée interactive
– Plat.: Plateforme collaborative
– Réseaux sociaux
– Vidéos
– Événements
– ■ Interactivité passive
– □ Interactivité active
– _Statique_
– Souligné: Live

Bande dessinée interactive sur Klynt (avec Mémoways)

  • Instance 1 (semaine 1) : Introduction de John
  • Instance 2 (semaine 2) : Premier défi de John
  • Instance 3 (semaine 3) : Suite des aventures de John

Plateforme collaborative en ligne

  • Instance 1 (semaine 1) : Espace de travail vierge
  • Instance 2 (semaine 2) : Premières contributions des utilisateurs
  • Instance 3 (semaine 3) : Enrichissement des contenus

Réseaux sociaux

  • Instance 1 (semaine 1) : Présentation du projet
  • Instance 2 (semaine 2) : Point d’étape et appel à participation
  • Instance 3 (semaine 3) : Bilan et nouvelles fonctionnalités

Vidéos pédagogiques

  • Instance 1 (semaine 2) : Tutoriel d’un module
  • Instance 2 (semaine 3) : Témoignage d’un participant

Événements physiques

  • Instance 1 (semaine 1) : Atelier de lancement au Centre Pompidou
  • Instance 2 (semaine 3) : Rencontre avec classes participantes

En répertoriant de façon systématique l’ensemble des canaux mobilisés et leurs instances chronologiques selon le modèle de Javanshir, Carroll et Millard, il est possible de décrire de manière exhaustive la structure du récit transmédia John is Learning.

Les modèles narratifs, de navigation et d’instances

Les documents décrivant l’expérience John is Learning fournissent des informations sur les modèles utilisés pour la narration, la navigation entre les instances et le type d’instances.

Concernant le modèle narratif, l’histoire de John racontée de façon linéaire dans la BD interactive constitue l’histoire principale, tandis que les contenus de la plateforme collaborative viennent l’enrichir de manière subsidiaire.

Pour le modèle de navigation, l’expérience semble adopter majoritairement un mode cumulatif : les utilisateurs ont accès aux différents supports de manière autonome tout en bénéficiant des apports des autres canaux de façon connectée. De nouvelles instances sont disponibles à chaque étape mais l’accès aux précédentes est conservé.

Enfin, à propos des modèles d’instances, plusieurs types semblent mobilisés. Tout d’abord, le rôle-jeu puisque les utilisateurs peuvent endosser différents rôles. Mais aussi le format artefact dans la mesure où les contenus produits sont persistants et continuent d’enrichir l’univers narratif. Certains événements physiques relèvent quant à eux du modèle d’instance live.

L’identification de ces différents modèles structurants selon l’approche méthodologique définie par Javanshir, Carroll et Millard offre un cadre d’analyse permettant de décrire plus en profondeur la structure du récit transmédia John is Learning.

La logique combinatoire des motifs

L’analyse de l’expérience John is Learning à l’aide du modèle de Javanshir, Carroll et Millard fait émerger plusieurs motifs structuraux récurrents. En termes de motifs narratifs, on retrouve à la fois le motif « histoire principale » portée par la BD et le motif « contenus subsidiaires » développés sur la plateforme.

Pour les motifs de navigation, c’est le motif « cumulatif » qui domine, laissant aux utilisateurs la possibilité de naviguer de manière autonome entre les différentes instances tout en bénéficiant des apports des autres canaux de façon connectée.

Du côté des motifs d’instances, les auteurs font intervenir le « game play » à travers les possibilités d’interaction offertes, le format « artefact » pour la persistance des contenus, ou encore le modèle « live » pour certains événements physiques.

Ces différents motifs structurels récurrents s’articulent de manière combinatoire au sein de John is Learning. Leur logique d’assemblage offre des configurations narratives variées qui viennent enrichir l’expérience de récit transmédia. Elle favorise différentes réalisations qui fait la richesse du récit transmédia. L’analyse systématique de ces éléments structurants selon l’approche de Javanshir, Carroll et Millard apporte un éclairage pertinent pour comprendre l’articulation des rouages.

Photographie : Karine Halpern

Une œuvre qui encourage la participation active des apprenants selon plusieurs modalités

Les modalités

L’expérience transmédia John is Learning met en place différentes modalités participatives afin d’encourager l’implication active des apprenants :

– La plateforme collaborative invite les participants à produire et partager librement contenus éducatifs, ressources, témoignages sous diverses formes (textes, images, vidéos).

– Les événements physiques stimulent les rencontres entre pairs et avec les acteurs du projet, favorisant les échanges.

– La BD interactive propose des défis à relever qui amènent les lecteurs à prolonger l’histoire de manière subsidiaire sur d’autres supports.

Ainsi l’œuvre développe-t-elle des possibilités variées de contribution et d’interaction entre les publics.

L’échange des savoirs informels

La plateforme collaborative constitue un espace privilégié pour l’échange des savoirs informels entre participants. Les apprenants peuvent y documenter leurs apprentissages expérientiels en dehors des cursus scolaires traditionnels. Les témoignages, explications de démarches ou retours sur des activités menées viennent compléter les ressources pédagogiques avec un angle plus pratique. Ces apports individuels contribuent à faire vivre un savoir situé, ancré dans les usages et les parcours personnels.

L’apprentissage de pair à pair

En stimulant les rencontres physiques et virtuelles, l’œuvre promeut les échanges entre pairs qui favorisent des modalités d’apprentissage collaboratif. Sur la plateforme, les participants peuvent mutualiser leurs questionnements, se répondre mutuellement et s’entraider dans la réalisation des défis proposés. Lors des événements, ils peuvent aussi échanger de façon informelle.Ainsi l’œuvre offre-t-elle un cadre propice aux apprentissages réciproques entre participants sur un mode horizontal et égalitaire.

Conclusion

L’analyse de la structure narrative de l’œuvre transmédia John is Learning à l’aide du modèle proposé par Ryan Javanshir, Beth Carroll et David Millard révèle une construction élaborée autour de plusieurs canaux mobilisés de manière combinée. La description systématique des canaux, de leurs instances ainsi que l’identification des modèles narratifs, de navigation et d’interaction déployés permettent de rendre compte de manière exhaustive de l’agencement du récit.

Cette œuvre est représentative des enjeux éducatifs que soulèvent les récits transmédias en encourageant une participation active des apprenants. En stimulant l’échange des savoirs informels et l’apprentissage de pair à pair, elle promeut des pratiques émancipatrices et situées.

La richesse du storyworld tient à l’articulation entre récit principal et contenus subsidiaires, ainsi qu’à la diversité des supports mobilisés. La logique combinatoire des motifs structurels offre des possibilités variées de réalisation du récit propices à enrichir l’univers fictionnel.

L’analyse montre l’intérêt de la méthodologie proposée pour appréhender de manière structurée ces formes narratives émergentes et comprendre en profondeur leur portée éducative et fictionnelle. Elle fournit des clés de lecture permettant de rendre justice à leur complexité.

Bibliographie

Javanshir, R., Carroll, B., & Millard, D. (2020). Structural patterns for transmedia storytelling. PloS one, 15(1), e0225910

L. Klastrup and S. Tosca, « Transmedial worlds – rethinking cyberworld design, » 2004 International Conference on Cyberworlds, Tokyo, Japan, 2004, pp. 409-416, doi: 10.1109/CW.2004.67

En savoir plus sur le TransmediaMIX

Présentation de TransmediaMix :

https://fr.slideshare.net/KHwork/transmedia-mix-production-framework-franais

Teaser de « John is learning » :

https://project.klynt.net/Transmedia_Mix/index.html#intro

Bilan vidéo avec Polemic Tweet (IRI) :

https://polemictweet.com/fens2014-transmediamix/polemicaltimeline.php?lang=ja_JP

Klynt : https://www.klynt.net/fr/

Memoways : https://ulrichfischer.net/memoways/

Vers une éducation aux médias renouvelée : explorer les potentiels de l’apprentissage transmédia

Dans un paysage médiatique en constante évolution, et face aux multiples enjeux de la culture numérique dans laquelle nous baignons, la nécessité d’ajuster nos méthodes éducatives se pose régulièrement dans le débat public. L’Apprentissage Transmédia se profile comme une réponse à cette exigence contemporaine. Des prémices de l’Éducation aux Médias et à l’Information des années 1970 jusqu’à son intersection avec les réalités numériques actuelles, cet article scrute une évolution significative. En explorant les rouages de l’Apprentissage Transmédia, nous révélons comment cette approche intègre les cultures participatives en ligne, renforce activement les compétences médiatiques, et s’adapte avec agilité à l’évolution technologique. En mettant en lumière sa capacité à faciliter le transfert des acquis à divers contextes, nous esquissons les contours d’une éducation aux médias profondément ancrée dans le monde contemporain.

Introduction

Comme le rappelle David Buckingham, chercheur au King’s Collège de Londres (Scolari, 2018) l’éducation aux médias n’est pas une idée nouvelle. Bien que non récente, ses origines remontent aux années 1970, avec des projets dans l’éducation télévisuelle. Voir même aux années 1960 avec l’exploration de l’éducation visuelle , et plus loin encore, aux années 1930 où les cinéastes soviétiques Pudovkin et Kuleshov avancent l’idée d’une alphabétisation cinématographique.

Depuis l’émergence d’Internet dans les années 1990 et l’avènement du web 2.0 au milieu des années 2000, le paysage médiatique a profondément évolué. Les nouveaux médias numériques se caractérisent désormais par leur dimension participative, la circulation accrue des contenus entre plateformes et l’hybridation croissante des genres. L’avènement des réseaux sociaux a transformé les interactions en ligne, tandis que la montée en puissance de la vidéo en ligne a enrichi les expériences médiatiques. La mobilité accrue avec les smartphones a modifié les habitudes de consommation, et l’introduction de la réalité virtuelle (RV) et augmentée (RA) ainsi que l’utilisation croissante de l’intelligence artificielle (IA) ont apporté de nouvelles dimensions à la création et à la consommation de contenu. Parallèlement, la montée en puissance du streaming a redéfini la manière dont les gens accèdent aux contenus audiovisuels. Ces évolutions continuent de façonner un paysage médiatique dynamique et en constante évolution.

Face à ces mutations, le concept d’éducation aux médias et à l’information (EMI) s’est enrichi pour prendre en compte ces évolutions. Apparue dans les années 1980 (Déclaration de Grünwald (Allemagne), à la première conférence de l’UNESCO sur l’éducation aux médias en 1982 ; création en France en 1983 du Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information (CLEMI) , l’EMI vise à développer une posture critique des publics face aux médias de masse traditionnels comme la presse, la radio et la télévision. Mais elle s’est depuis élargie à l’éducation et à la prévention des risques liés à l’usage d’Internet, des jeux vidéo et des réseaux sociaux : cyberharcelement, protection de la vie privée, désinformation en ligne, sécurité en ligne, addictions…

Pourtant, les limites de l’EMI face aux transformations en cours dans le paysage médiatique se font sentir. Les compétences des jeunes évoluent en dehors du cadre scolaire, à mesure qu’ils s’impliquent dans les nouvelles cultures participatives permises par le numérique. C’est dans ce contexte qu’émerge le concept complémentaire d’apprentissage transmédia (transmedia learning) qui se propose de mieux prendre en compte les réalités des pratiques médiatiques des jeunes.

L’apprentissage transmédia élargit le champ de l’EMI en accordant une place centrale aux compétences développées de manière informelle au sein des cultures participatives en ligne. Elle considère les publics comme des « prosommateurs » (Toffler, 1980) ou des « créateurs participatifs » (Meyers, Erickson et Small, 2013), sujets actifs capables de générer et partager du contenu sur les réseaux. Contrairement à une approche purement critique et défensive des médias, l’apprentissage transmédia se concentre sur le développement de compétences liées à la production, au partage et à la consommation de médias. Ces compétences englobent divers aspects, allant de la résolution de problèmes dans les jeux vidéo à la création, la production, le partage, et la consommation critique de contenus narratifs (fanfiction, fanvids, etc.) sur des plateformes web et les médias sociaux. Ainsi, l’accent est mis sur une approche plus active et participative des médias, plutôt que sur une simple analyse critique.

En développant des compétences flexibles pour s’adapter aux changements, l’apprentissage transmédia peut répondre aux défis des évolutions socio-économiques, notamment la montée de l’économie créative, un secteur où l’innovation, la culture, et les compétences créatives jouent un rôle central dans la production de biens et services. Fort de ces aspects, l’apprentissage transmédia apparaît comme une réponse pertinente aux limites de l’EMI face aux mutations culturelles numériques. Ce billet se propose d’explorer plus en détail les apports potentiels de cette approche à une éducation aux médias renouvelée.

Ce billet adoptera le plan suivant. Tout d’abord, la première partie reviendra sur l’émergence du concept d’apprentissage transmédia, en présentant les limites perçues de l’EMI face aux mutations numériques ainsi que la définition et les principes fondateurs de cette nouvelle approche. La deuxième partie s’intéressera à la prise en compte des cultures participatives en ligne par l’apprentissage transmédia, notamment à travers l’étude des nouvelles pratiques culturelles des jeunes et des phénomènes de circulation et de partage de contenus. Puis, la troisième partie analysera comment l’apprentissage transmédia propose de renforcer les compétences médiatiques, qu’il s’agisse d’usages d’outils et de plateformes ou du développement de la créativité. La quatrième partie se penchera sur l’adaptabilité aux évolutions technologiques permises par cette approche, dans un contexte d’innovation permanente. Enfin, la cinquième partie traitera de la capacité de l’apprentissage transmédia à favoriser le transfert des acquis à différents contextes. La conclusion synthétisera les bénéfices que pourrait en tirer l’EMI.

1. L’émergence de l’apprentissage transmédia

1.1. Les limites perçues de l’EMI face aux évolutions numériques

La diffusion des technologies numériques a transformé le paysage médiatique depuis les années 1990. L’avènement du Web dans les années 2000 et l’essor des appareils mobiles et réseaux sociaux dans les années 2010 ont conduit à l’émergence de nouvelles pratiques de production, de distribution et de consommation médiatique.

Face à ces mutations, certains chercheurs ont souligné les limites perçues du concept traditionnel d’éducation aux médias (EMI) pour répondre aux défis du paysage médiatique convergent actuel. En effet, l’EMI s’était initialement construit en référence aux médias de masse traditionnels comme la presse, la radio et la télévision. Or ces « anciens » médias coexistent désormais avec de nouvelles formes médiatiques interactives permises par le numérique.

De plus, le modèle de communication descendante traditionnel (un vers plusieurs) a laissé sa place à des modalités davantage horizontales, multi-directionnelles et participatives sur le web. Dans ce contexte, certains auteurs ont souligné la nécessité de renouveler les approches traditionnelles de l’EMI (Buckingham, 2003 ; Livingstone, 2004). Le concept complémentaire d’apprentissage transmédia (transmedia learning) s’est alors développé pour mieux prendre en compte les réalités des cultures participatives émergeant dans l’écosystème médiatique convergent actuel (Jenkins, 2006).

1.2 Définition et principes de l’apprentissage transmédia

L’émergence des technologies numériques et l’évolution du paysage médiatique ont conduit à remettre en question certaines limites perçues du concept traditionnel d’éducation aux médias » (EMI). Face aux mutations des nouveaux médias interactifs, certains chercheurs ont souligné la nécessité de concevoir une nouvelle approche (Buckingham, 2003 ; Livingstone, 2004). C’est dans cet environnement qu’est apparu le concept complémentaire d’apprentissage transmédia. Il se propose de prendre en compte les réalités des cultures participatives émergeant dans l’écosystème médiatique convergent actuel (Jenkins, 2006).

L’apprentissage transmédia est défini comme « une approche pédagogique qui tient compte de la manière dont les apprentissages formels et informels se construisent aujourd’hui dans notre culture participative immergée dans de multiples médias » (Jenkins et al., 2013). Il repose sur quatre principes clés :

  • L’attention porte sur les compétences liées aux nouvelles littératies requises dans ce contexte médiatique convergent plutôt que sur les contenus spécifiques.
  • Il promeut les apprentissages à travers la production et la circulation de contenus plutôt que par leur seule consommation.
  • Il encourage la collaboration et l’apprentissage entre pairs au sein de communautés décentralisées.
  • Il favorise la personnalisation des apprentissages en fonction des intérêts, des affinités et des pratiques effectives des apprenants (Jenkins et al., 2006).

Plutôt que de séparer l’apprentissage formel de l’informel, l’apprentissage transmédia encourage leur rencontre et leur complémentarité. Son objectif est de faire converger les expériences d’apprentissage se déroulant à l’école et en dehors dans une optique de synergie et de continuité (Buckingham & Willett, 2013).

Comme le souligne Carlos Scolari, un aspect clé de l’apprentissage transmédia est l’environnement éducatif. Alors que l’école était traditionnellement le lieu d’apprentissage pour les compétences de base, les nouvelles générations acquièrent désormais leurs compétences en apprentissage transmédia en dehors de l’espace scolaire. Cela se produit sur diverses plateformes telles que YouTube, les forums en ligne, les réseaux sociaux, les applications de partage de vidéos et de photos, ainsi que les plateformes de communication vocale.

Dans ce contexte l’Ecole a un rôle à jouer, Carlos Scolari ajoute même que :

« La prolifération des technologies numériques et des nouvelles pratiques sociales a donné naissance à de nouveaux concepts dans les discussions académiques et professionnelles sur l’apprentissage, les médias et la jeunesse. Au cours des deux dernières décennies, le vocabulaire associé à la « littératie » s’est élargi, passant de la « littératie numérique » à la « littératie médiatique« .

Cependant, le concept de « littératie transmédia » positionne les réseaux numériques et les expériences médiatiques interactives au cœur de son cadre théorique et pratique. Plutôt que de se concentrer principalement sur les contenus, la « littératie transmédia » met l’accent sur les compétences, les pratiques et les divers contextes d’apprentissage informel.

Les jeunes mobilisent diverses compétences médiatiques et technologiques pour naviguer dans leur vie en ligne médiatisée. Néanmoins, la valeur de la créativité, comparable à celle que Jenkins (2009) met en avant dans la lecture et l’écriture à l’ère de la convergence numérique, est généralement sous-estimée.

La compétence clé dans la  culture de la convergence est la capacité à diffuser du contenu facilement. L’utilisation fluide des outils médiatiques numériques permet des fonctions multimodales dans les technologies convergentes. De plus, le mouvement et la circulation du contenu et des utilisateurs sur différentes plateformes contribuent à effacer les frontières traditionnelles entre la production et la consommation régies par les médias (Jenkins, 2006).

L’engagement profond des adolescents dans l’économie attentionnelle des médias sociaux ajoute également une complexité à la question. Les jeunes, en particulier les adolescentes, gèrent activement leur attention et leur image personnelle sur des plateformes comme Instagram, soulignant l’importance de ces compétences dans l’économie actuelle de l’attention numérique. Des recherches récentes ( cf notamment Feijoo , López-Martínez, Núítez-Gómez., 2022, Lozano-Blasco, Mira-Aladrén,et Gil-Lamata, 2023) montrent qu’elles consacrent du temps à sélectionner soigneusement les photos et le contenu pour valoriser de manière cohérente leur image personnelle. Elles utilisent également diverses tactiques pour gagner en visibilité, telles que la fréquence de publication, les hashtags, les mentions populaires et la création de contenus vidéo variés sur TikTok. Cette gestion stratégique de leur image en ligne témoigne de leur compréhension intuitive des mécanismes psychologiques sur les plateformes. Ainsi, les compétences de curation, de marketing de soi et de maîtrise des tactiques d’influence deviennent cruciales dans l’économie numérique centrée sur l’attention.

2. Prise en compte des cultures participatives numériques

La prolifération des technologies numériques et des nouvelles pratiques sociales a donné naissance à de nouveaux concepts dans les discussions académiques et professionnelles sur l’apprentissage, les médias et la jeunesse. Au cours des deux dernières décennies, le vocabulaire associé à la « littératie » s’est élargi, passant de la « littératie numérique » à la « littératie médiatique ».

Cependant, le concept de « littératie transmédia » positionne les réseaux numériques et les expériences médiatiques interactives au cœur de son cadre théorique et pratique. Plutôt que de se concentrer principalement sur les contenus, la « littératie transmédia » met l’accent sur les compétences, les pratiques et les divers contextes d’apprentissage informel.

Les jeunes mobilisent diverses compétences médiatiques et technologiques pour naviguer dans leur vie en ligne médiatisée. Néanmoins, la valeur de la créativité, comparable à celle que Jenkins (2009) met en avant dans la lecture et l’écriture à l’ère de la convergence numérique, est généralement sous-estimée.

La compétence clé dans la  culture de la convergence est la capacité à diffuser du contenu facilement. L’utilisation fluide des outils médiatiques numériques permet des fonctions multimodales dans les technologies convergentes. De plus, le mouvement et la circulation du contenu et des utilisateurs sur différentes plateformes contribuent à effacer les frontières traditionnelles entre la production et la consommation régies par les médias (Jenkins, 2006).

De plus, l’engagement profond des adolescents dans l’économie attentionnelle des médias sociaux ajoute une complexité à la question. Les jeunes, en particulier les adolescentes, gèrent activement leur attention et leur image personnelle sur des plateformes comme Instagram, soulignant l’importance de ces compétences dans l’économie actuelle de l’attention numérique. Des recherches récentes ( cf notamment Feijoo , López-Martínez, Núítez-Gómez., 2022, Lozano-Blasco, Mira-Aladrén,et Gil-Lamata, 2023) montrent qu’elles consacrent du temps à sélectionner soigneusement les photos et le contenu pour valoriser de manière cohérente leur image personnelle. Elles utilisent également diverses tactiques pour gagner en visibilité, telles que la fréquence de publication, les hashtags, les mentions populaires et la création de contenus vidéo variés sur TikTok. Cette gestion stratégique de leur image en ligne témoigne de leur compréhension intuitive des mécanismes psychologiques sur les plateformes. Ainsi, les compétences de curation, de marketing de soi et de maîtrise des tactiques d’influence deviennent cruciales dans l’économie numérique centrée sur l’attention.

2.1 Les nouvelles pratiques culturelles des jeunes

Comme l’exemple précédent l’illustre bien, la diffusion généralisée des technologies numériques a donné lieu à de nouvelles pratiques culturelles chez les jeunes (Jenkins et al., 2013). Ils sont de plus en plus impliqués dans la création et le partage de contenu en ligne (Ito et al., 2008), tout en continuant à consommer des médias (Jenkins, 2006).

Les médias sociaux, en particulier, sont devenus des espaces capitaux pour leurs activités médiatiques. Ils les utilisent pour rester connectés avec leurs amis et participer à diverses pratiques culturelles telles que le partage de photos, de vidéos, ou de listes de lecture (Boyd, 2014). Des activités telles que la création de montages vidéo musicaux sur YouTube, l’écriture de fanfictions sur des plateformes comme Wattpad, ou la participation à des communautés en ligne autour de franchises culturelles illustrent ces nouvelles formes d’engagement des jeunes dans la culture participative (Jenkins et al., 2013).

2.1.1 La circulation de la culture

La circulation et le partage de contenus entre pairs sur de multiples plateformes contribuent à brouiller les frontières entre producteurs et consommateurs de médias. Les jeunes passent aisément d’une plateforme à l’autre et d’un type de contenu à l’autre (Ito et al., 2010). Cela a conduit à l’émergence de nouvelles pratiques telles que le fanvidéo, les jeux modifiés par les fans ou encore les fanfictions (Jenkins et al., 2013). Les jeunes, en agissant à la fois comme producteurs et diffuseurs de contenus, déplacent aisément du contenu entre différents espaces médiatiques (Boyd, 2014). Cette dualité de rôles complique la distinction entre le « producteur » et le « consommateur », remettant en question les rôles traditionnels définis par l’industrie culturelle dans le contexte de convergence médiatique (Jenkins, 2006).

Grâce à leur engagement actif sur les plateformes en ligne, les jeunes ne se limitent pas à la consommation de contenus ; ils les produisent également et les partagent facilement. Cette capacité transforme la dynamique traditionnelle où la production était souvent l’apanage de l’industrie culturelle, tandis que la consommation était le rôle principal du public. Ainsi, dans le cadre de la convergence médiatique, les jeunes ont la possibilité d’assumer des rôles multiples, remettant en question les distinctions rigides établies par l’industrie culturelle.

2.1.2 La diffusion et le partage de contenu

Cette souplesse de mouvement marque un changement dans les relations entre production et consommation. La performance s’inscrit désormais dans un continuum plutôt que dans des positions distinctes. Les jeunes s’impliquent dans la cocréation collaborative et le partage de contenu, transcendant les limites imposées par les plateformes.

En partageant des informations sur les réseaux participatifs émergents, les jeunes élargissent leurs rôles au sein de ces communautés. On assiste à un passage vers un modèle de « prosommation », où les consommateurs deviennent des contributeurs actifs (Bruns, 2008). Ainsi, les distinctions traditionnelles entre les rôles de producteur et de consommateur s’estompent.

3. Renforcement des compétences médiatiques

L’émergence des technologies numériques a élargi la palette d’outils médiatiques à la disposition des jeunes. Face à cette diversification des formats et supports, les jeunes développent un ensemble de compétences et de pratiques autour de l’utilisation des médias.

3.1 Usages des outils et formats médiatiques

Les jeunes développent diverses compétences dans leur interaction avec les technologies et les médias, particulièrement au sein des environnements d’apprentissage informels tels que les plateformes numériques et les jeux vidéo. Ces compétences incluent, à des degrés variés, la connaissance des caractéristiques techniques des médias sociaux et des logiciels, ainsi que divers usages d’appareils et d’applications.

Leur familiarité avec les jeux vidéo les aide à comprendre les aspects techniques des consoles, du gameplay et des univers graphiques, renforcée par les interactions sur différentes plateformes. La gestion des contenus, le stockage sur le cloud, et l’organisation des archives numériques sont autant de compétences acquises dans ce contexte.

Par ailleurs, certains jeunes développent des compétences avancées dans des logiciels spécifiques dédiés à la retouche photo, à l’édition vidéo, à la programmation ou au codage de jeux et de sites web, adaptées à leurs besoins particuliers. L’expérimentation et la résolution de problèmes techniques, que ce soit dans des activités personnelles ou collaboratives, contribuent à leur apprentissage des outils multimédias.

Ces compétences techniques sont enrichies par l’interaction avec des communautés en ligne, la consultation de tutoriels et la création de didacticiels pour répondre à leurs besoins d’apprentissage ponctuels. Ainsi, les jeunes acquièrent de manière décentralisée et contextualisée de nombreuses compétences médiatiques et technologiques, en lien avec leurs centres d’intérêt personnels, dans le cadre d’activités informelles sur Internet et les médias numériques.

Gardons toutefois à l’esprit que les usages et la maîtrise des outils ne sont pas uniformes selon les âges, le genre ou l’environnement social.

3.2 Développement de la créativité et de l’expression

Je souhaite explorer les compétences créatives et expressives que les jeunes développent à travers leurs activités médiatisées, en mettant particulièrement l’accent sur la production et la diffusion de divers éléments. Les adolescents déploient leur créativité en générant des contenus médiatiques tels que des photos retravaillées, des vidéos, de la musique ou des écrits en ligne, comme les fanfictions. Ces pratiques leur offrent une opportunité d’explorer leur style personnel et de s’exprimer de manière individuelle.

Des exemples concrets issus du projet de recherche Transmedia Literacy (Scolari, 2018) illustrent ces compétences. Lors d’un atelier, certains participants ont partagé leurs expériences, expliquant comment ils mettent en œuvre leur créativité. Par exemple, ils ont décrit leur compétence en matière de production, soulignant notamment leur capacité à s’approprier des éléments visuels de quelqu’un d’autre et à les modifier de manière innovante :  [Ws] Les garçons du groupe dessinent des personnages avec Paint tandis que la fille cherche des images sur Internet pour les placer. L’idée est de faire une bande dessinée humoristique avec un porc-épic comme personnage principal.

Autre exemple :

Olivia

17 ANS – de sexe féminin

Italie

Interviewer : Qu’est-ce que tu aimes le plus sur Wattpad ?

Olivia : J’aime commenter les histoires des autres et aussi recevoir des commentaires. Par exemple, quand j’écris une histoire qui plaît aux gens et qu’ils me disent qu’ils aiment, ça me motive à continuer et à m’améliorer.

Interviewer : Donc la relation avec les autres lecteurs est importante ?

Olivia : Oui, c’est la meilleure partie. Surtout quand ils te demandent de continuer l’histoire parce qu’ils veulent savoir comment elle se termine. Ça me pousse à travailler plus pour ne pas les décevoir.

Dans cet exemple, plusieurs compétences d’apprentissage transmédia sont mises en œuvre notamment autour de la narration, de l’évaluation critique, et de la prise en compte de l’avis des pairs comme source d’apprentissage. Reconnaître et décrire les genres narratifs : Olivia parle de commenter des « histoires », ce qui fait référence à des genres narratifs comme la fiction. Comparer : elle compare Wattpad à d’autres platesformes comme YouTube. Évaluer et réfléchir sur les qualités des contenus : elle évalue ce qu’elle aime dans les commentaires reçus, à savoir les retours d’expérience des autres lecteurs. Prendre en compte l’avis des pairs : elle est motivée par les commentaires positifs des autres pour s’améliorer. Exprimer sa personnalité à travers la narration: son engagement dans des récits de fiction en ligne reflète ses centres d’intérêt. Agir et appliquer: elle continue ses histoires en fonction des commentaires reçus, pour satisfaire ses lecteurs.

Les jeunes exploitent leur créativité à travers des productions personnelles, utilisant ces moyens d’expression comme un outil de construction identitaire, impliquant une réflexion sur soi et sur autrui à travers la narration. Ces pratiques créatives engendrent le développement de compétences telles que l’écriture narrative, la caractérisation des personnages, la construction d’intrigues, et la maîtrise d’un style esthétique, nécessitant également des capacités réflexives comme l’autocritique constructive et la réceptivité aux commentaires des autres utilisateurs. D’autres s’adonnent également à des montages vidéo retravaillés, sélectionnant des extraits de films ou d’épisodes de séries pour créer des vidéos thématiques. Dans ces projets, le sens de l’esthétique visuelle se conjugue aux compétences narratives. Quant aux profils de médias sociaux, ils offrent l’opportunité de construire des univers numériques personnalisés, impliquant des choix esthétiques tels que les photos, les couleurs, ou la musique. Ces activités demandent aux jeunes de développer leur style pour se présenter de manière unique. Dans l’ensemble, ces activités créatives dans un contexte participatif encouragent l’exploration de soi, favorisant le développement de compétences telles que l’imagination, la narration, la réflexivité, ainsi que l’esthétique visuelle et sonore.

Le projet de recherche Transmedia Literacy, dirigé par une cinquantaine de chercheurs, a exploré et répertorié diverses compétences transmédiatiques, telles que la production de contenu, la gestion, la prévention des risques et la performance, ainsi que des stratégies d’apprentissage informel. Celui-ci  propose une taxonomie des compétences et pratiques en matière d’apprentissage aux médias, qui comprend les médias sociaux les plus récents, mais aussi les médias plus anciens. Ils fournissent des cadres qui nous aideront à réfléchir à l’ensemble des pratiques d’apprentissage formelles et informelles qui sont impliquées dans l’utilisation de ces médias. Ainsi, l’apprentissage transmédia se révèle bénéfique pour renforcer les compétences médiatiques des jeunes en reconnaissant et en valorisant leurs apprentissages informels. En promouvant une intégration plus fluide entre les environnements d’apprentissage formels et informels, cette approche permet de considérer les compétences techniques, créatives et sociales développées spontanément par les jeunes dans leurs interactions avec les médias numériques. Plutôt que de compartimenter les connaissances scolaires et les expériences personnelles, l’apprentissage transmédia encourage une collaboration entre ces deux domaines, favorisant ainsi la reconnaissance et la mise en valeur des compétences acquises informellement, dans une perspective de continuité éducative.
Plutôt que de séparer l’apprentissage formel de l’informel, l’apprentissage transmédia promeut leur rencontre et leur complémentarité. Elle considère leurs points de contact potentiels comme source d’enrichissement réciproque (Buckingham & Willett, 2013)

Des chercheurs (Livingstone et al., 2005) pensent qu’il est important de reconnaître et valoriser toutes les choses que les jeunes apprennent en dehors de l’école. L’objectif est de lier ensemble l’apprentissage réalisé à l’école et hors du cadre scolaire, pour qu’ils se complètent. Cela nécessite de mieux comprendre comment les jeunes apprennent quand ils ne sont pas en classe, afin de trouver des liens entre ces deux types d’apprentissage. En grandissant, les jeunes acquièrent des connaissances non seulement à l’école mais aussi de manière informelle, souvent sans en être conscients, à travers leurs activités quotidiennes. Il est nécessaire de reconnaître ces apprentissages informels et d’établir des connexions avec ce qu’ils apprennent formellement à l’école. C’est ainsi que l’apprentissage formel et informel peuvent se compléter mutuellement. Pour atteindre cet objectif, il est essentiel de mieux comprendre comment les jeunes assimilent des connaissances en dehors de l’environnement scolaire.

4. Adaptabilité aux évolutions technologiques

L’environnement numérique dans lequel évoluent les jeunes est marqué par des innovations constantes au niveau des technologies, des services et des comportements. Cette partie cherche à analyser comment les jeunes font preuve d’adaptabilité face à ces changements perpétuels.

4.1 Contexte d’innovation technologique permanente

L’écosystème numérique connaît un rythme d’évolution extrêmement rapide, avec l’émergence régulière de nouveaux appareils connectés, médias sociaux, outils et modes d’interaction. Les jeunes grandissent au sein de cet environnement en perpétuelle mutation technologique. Par exemple, sur une période de seulement 10 ans, on a ainsi assisté à l’explosion des smartphones et des médias mobiles, à la populaire généralisation des réseaux sociaux comme Facebook, Instagram ou TikTok, à l’avènement massif du streaming vidéo et musical, ou encore à l’essor des enceintes et objets connectés.


Les réseaux sociaux préférés des jeunes

  • Instagram est le réseau social le plus utilisé par les 16-25 ans en France, avec 90% des jeunes interrogés inscrits sur la plateforme.
  • Snapchat est également populaire 76% des jeunes de 16 à 25 ans utilisant cette application de messagerie éphémère.
  • TikTok connaît une ascension rapide avec 63% d’utilisateurs parmi les répondants, enregistrant une augmentation de 11 points par rapport à l’année précédente. 52% des jeunes de 16 à 25 ans utilisant cette application de partage de vidéos courtes.
  • Facebook se maintient à la quatrième place avec une utilisation par 49% des jeunes de la génération Z.

Source : Asselin, C. (2023.). Les réseaux sociaux préférés des jeunes en France en 2023. Consulté 20 novembre 2023, à l’adresse https://blog.digimind.com/fr/tendances/reseaux-sociaux-preferes-generationz-france


La constante évolution technologique nécessite des jeunes une flexibilité et une curiosité pour s’adapter rapidement aux nouveaux outils et services, comprendre leurs fonctionnalités et les codes socio-techniques. Ils doivent également régulièrement renouveler leur matériel, comme les téléphones, tablettes, consoles et ordinateurs, pour rester à jour avec les dernières fonctionnalités et maintenir leur présence sur les plateformes. Un exemple illustratif est l’évolution rapide des technologies mobiles, avec des changements fréquents dans la taille des écrans, les caractéristiques techniques et les systèmes d’exploitation des smartphones. Les adolescents doivent constamment s’ajuster pour rester au fait des dernières innovations. Bien que cette tendance ne soit pas uniforme dans toutes les catégories d’âges ou sociales, tous sont influencés par la pression consumériste d’une économie de l’attention soutenue par des techniques de marketing puissantes, en particulier celles des GAFAM. Il revient à l’éducation, notamment à travers l’apprentissage transmédia, de sensibiliser les jeunes à ces enjeux, renforçant ainsi leur esprit critique et leur conscience des stratégies de captation.

De même, le paysage des réseaux sociaux est en perpétuelle reconfiguration, comme illustré par l’essor de nouveaux acteurs tels que TikTok, qui perturbe les normes établies par Snapchat ou Instagram. Cela incite les jeunes à :

  • Se familiariser avec de nouveaux genres de contenus, tels que les vidéos courtes, le lipsync, les duos (où deux utilisateurs collaborent en écran partagé), les filtres, etc.
  • S’adapter aux codes et conventions spécifiques à chaque réseau, tels que les hashtags, la mise en page, les normes esthétiques, etc., afin de participer activement et contribuer.
  • Expérimenter et maîtriser de nouvelles compétences techniques liées aux particularités de chaque plateforme, comme le montage vidéo, les effets audio, etc.

Le renouvellement constant des réseaux sociaux avec l’émergence de nouveaux acteurs pousse donc les jeunes à explorer de nouveaux territoires numériques et à acquérir de nouvelles compétences. Cet environnement en constante évolution représente à la fois un défi et une opportunité pour eux , qui développent des compétences pour s’ajuster aux changements techniques permanents.

4.2 Formation à l’agilité face aux mutations

Cette adaptabilité aux changements technologiques repose sur certaines compétences développées par les jeunes. Quelques témoignages issus du Transmedia literacy project.
Les jeunes naviguent souvent entre différentes plateformes en fonction de leurs envies et intérêts du moment. Comme l’explique Sofía, une jeune fille de 14 ans : « J’utilise Snapchat, Facebook et Instagram. Snapchat c’est plutôt pour s’amuser avec mes amis, envoyer des snaps, regarder les stories. Facebook c’est plus pour rester en contact avec la famille, voir les photos des gens. Et Instagram c’est plus pour suivre des influenceurs, voir les tendances.« 
Donc dans ce cas, Sofía mentionne utiliser Snapchat pour « s’amuser avec ses amis, envoyer des snaps, regarder les stories », ce qui sous-entend qu’elle explore par elle-même les fonctionnalités de Snapchat.
Sofia met en œuvre diverses compétences d’apprentissage transmédia. Tout d’abord, elle démontre sa capacité à reconnaître et décrire les caractéristiques techniques des plateformes de médias sociaux en identifiant les spécificités de Snapchat, Facebook et Instagram en termes de fonctionnalités. Ensuite, elle compare habilement ces plateformes, soulignant les différences d’utilisation entre Snapchat, Facebook et Instagram. Elle excelle également dans la reconnaissance et la description des genres, notant que Snapchat est utilisé pour « s’amuser » et partager des snaps et des stories, que Facebook sert à rester en contact, tandis qu’Instagram est axé sur le suivi des tendances. De plus, Sofia évalue et réfléchit aux qualités des plateformes, exprimant une préférence pour Snapchat car c’est « plus pour s’amuser ». Enfin, elle met en action cette évaluation en utilisant préférentiellement Snapchat dans ce contexte. Ainsi, Sofia démontre de manière éloquente plusieurs compétences médiatiques liées à la comparaison, l’évaluation et la mise en pratique de ses préférences.

5. Transfert des compétences à d’autres contextes

Jusqu’à présent, ce texte s’est intéressé aux compétences développées par les jeunes dans le cadre de leurs activités numériques personnelles et informelles. Cependant, il est important de montrer que ces apprentissages ne sont pas cloisonnés et peuvent être réinvestis dans d’autres sphères. Cette nouvelle partie analyse comment les jeunes sont capables de transposer leurs compétences médiatiques vers d’autres contextes.

5.1 Mobilisation des savoirs numériques dans un cadre scolaire

Les compétences techniques et créatives acquises par les jeunes sur leurs plateformes de prédilection peuvent s’avérer utiles dans un contexte scolaire. D’après la recherche, les connaissances médiatiques acquises de façon informelle par les jeunes sont susceptibles de favoriser leur apprentissage dans un cadre scolaire plus formel. Par exemple, les recherches montrent que les compétences en montage vidéo développées sur des plateformes telles que YouTube peuvent renforcer la compréhension par les élèves de notions littéraires. De plus, lors d’ateliers créatifs où les élèves sont amenés à produire des brochures ou des podcasts, des jeunes interrogés expliquent utiliser les compétences de mise en page qu’ils ont acquises grâce aux médias sociaux.

Les compétences relationnelles construites sur les réseaux sont aussi réinvesties dans le travail en équipe scolaire.

C’est ce que montre la recherche de l’équipe de Scolari  : « De même, les compétences socio-émotionnelles développées via les interactions en ligne (respect du tour de parole, gestion des conflits à distance via les commentaires, etc.) sont susceptibles de se transférer aux groupes de travail en présentiel à l’école. Les compétences relationnelles construites sur les réseaux sont aussi réinvesties dans le travail en équipe scolaire. »

D’autres compétences numériques informelles, telles que la manipulation d’outils de retouche photo, la création de contenu multimédia, la gestion de projets collaboratifs en ligne, ou encore la capacité à rechercher et évaluer des informations en ligne, peuvent également être réinvesties dans le cursus scolaire.

Ainsi, bien qu’acquises en dehors de l’école, ces littératies numériques peuvent s’avérer utiles lors de projets pédagogiques transversaux valorisant les savoirs expérientiels des jeunes.

5.2. Valorisation des acquis médiatiques dans des loisirs créatifs

Les compétences créatives issues de l’univers numérique des jeunes peuvent également être réinvesties dans des activités de loisirs à caractère artistique ou manuel. Certains déclarent ainsi transposer leurs aptitudes de personnalisation de contenu sur les réseaux sociaux vers des hobbies comme la customisation de vêtements ou d’accessoires qu’ils partagent volontiers en ligne.

De même, les capacités de scénarisation et de narration développées à travers l’écriture de fanfictions en ligne peuvent nourrir la pratique d’activités rédactionnelles ludiques comme le journalisme amateur ou la littérature de loisirs. Des compétences plus techniques, le montage vidéo ou les compétences graphiques sont également réinvesties dans la création de courts-métrages amateurs, de webzines ou dans la réalisation de supports de communication pour des associations. Ainsi, les loisirs créatifs constituent un terrain de valorisation privilégié pour ces savoir-faire médiatiques issus des activités récréatives des jeunes sur le web.

5.3. Participation citoyenne grâce aux compétences issues du numérique

Les communautés de fans, comme celles d’Harry Potter, illustrent comment les jeunes peuvent réinvestir leurs compétences pour sensibiliser à diverses causes. L’Alliance Harry Potter (HPA) en est un exemple marquant. Cette organisation a réussi à mobiliser les fans autour de causes sociales en exploitant la puissance narrative de la série (Bird, 2017). En utilisant l’acupuncture culturelle, une stratégie de Henry Jenkins, l’HPA a intelligemment lié l’univers de Harry Potter à des questions de justice sociale, renforçant ainsi son impact. Cette approche a capitalisé sur la popularité de la saga auprès des jeunes fans, utilisant l’histoire comme point d’entrée pour sensibiliser de manière indirecte et engagée à des problématiques contemporaines telles que le racisme et l’intolérance. En intégrant des éléments clés de l’univers d’Harry Potter, chargés de significations, l’HPA a stimulé l’engagement des fans et démontré comment les compétences numériques informelles peuvent être canalisées vers l’activisme et la sensibilisation sociale. Ainsi, le numérique offre aux jeunes l’opportunité de mettre en œuvre leurs compétences forgées dans leurs pratiques récréatives en ligne pour s’engager dans l’espace public.

Conclusion 

Cet article met en lumière deux aspects importants.Tout d’abord la nécessité d’une évolution de l’éducation aux médias. L’analyse des compétences médiatiques acquises par les jeunes souligne l’impératif d’une évolution de l’éducation aux médias (EMI) pour mieux intégrer ces apprentissages informels. Actuellement centrée principalement sur les risques d’Internet, l’EMI doit reconnaître pleinement les compétences diverses et transversales des jeunes, allant des compétences techniques et créatives aux aptitudes relationnelles et réflexives. Il est essentiel de ne plus considérer ces savoirs comme marginaux, mais au contraire, de les identifier précisément, en montrant leur valeur et leur potentiel. Sensibiliser les équipes éducatives à ces enjeux, par le biais de formations continues, permettrait de mieux reconnaître et valoriser les compétences des élèves, favorisant ainsi une meilleure intégration de l’éducation aux médias dans le quotidien des jeunes.

Ensuite des bénéfices sont à tirer de l’apprentissage transmédia. Il émerge comme une approche pertinente pour valoriser les compétences médiatiques informelles des jeunes. En intégrant les apprentissages formels et informels, cette approche donne du sens et de la cohérence au parcours éducatif des individus, reconnaissant et faisant converger différentes sources de savoir. De plus, elle encourage une pédagogie axée sur le projet et la résolution de problèmes complexes, favorisant ainsi le déploiement des talents numériques des jeunes. Sur le plan individuel, l’apprentissage transmédia cultive un regard réflexif sur les pratiques médiatiques personnelles, guidant les apprenants dans l’analyse critique de leur utilisation du numérique. Collectivement, elle prépare les jeunes à évoluer dans des sociétés collaboratives en cultivant leurs compétences relationnelles et leur esprit d’équipe forgés en ligne. Ainsi, promouvoir ce type d’approche éducative apparaît comme une voie pertinente pour exploiter les potentialités offertes par l’univers numérique des jeunes.

Bibliographie

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  • Sefton-Green, J. (2006). Report 7. Literature review in informal learning with technology outside school. London: Future Media Lab.

Voir en particulier les documents d’appui de ce billet :

Ce document, dont j’ai tiré plusieurs extraits, synthétise les résultats du projet de recherche Transmedia Literacy, qui s’est concentré sur les compétences médiatiques des adolescents. L’objectif était d’identifier ces compétences informelles, de les cartographier et de proposer des moyens d’exploiter ces acquis à l’école. Avec la participation d’une équipe interdisciplinaire dans 8 pays, des études qualitatives ont été menées auprès des jeunes pour présenter les résultats selon 9 dimensions de compétences transmédiatiques. Ces compétences couvrent la consommation, la production, la prévention des risques, les performances et la gestion. La cartographie élaborée sert de base pour inspirer de nouvelles méthodes pédagogiques visant à exploiter ces compétences, en favorisant ainsi l’intégration des intérêts médiatiques des jeunes à l’école pour stimuler l’apprentissage. Les références bibliographiques fournies dans ce document sont extraites de ces résultats.

Présentation du projet d’alphabétisation transmedia

La transmédiathèque sur Padlet

Dans mon livre, je vous propose en annexe une bibliographie d’ouvrages à contenu transmédia ou dont les histoires ont été distribuées sur plusieurs plateformes. J’ai également signalé des livres documentaires abordant notamment la question du storytelling transmédia, des nouvelles écritures, vous permettant d’aller plus loin dans votre réflexion si le sujet vous intéresse.
Dans ce billet, vous trouverez le lien vers un padlet reprenant les œuvres citées. Chacune est enrichie par un ou des liens vers des informations complémentaires.
Il va de soi qu’il s’agit d’une sélection subjective et que la liste peut être encore complétée. N’hésitez pas à me faire des propositions pour l’enrichir.